i3, une unité mixte de recherche CNRS (UMR 9217)
en

Institut Interdisciplinaire de l'Innovation

Chargement Évènements
  • Cet évènement est passé
Les sciences sociales sur un plateau : « L’expérience Zéro déchet : en quête en ligne de ce qui convient »
Posté le 15 décembre 2020

Comment des individus choisissent-ils d’opter pour le zéro déchet ? C’est à cette question que les groupes Facebook permettent de répondre car ils facilitent l’accès à cette démarche écologique de personnes choisissant des activités de développement durable concrètes ainsi que leurs interrogations et leurs usages.  Il est même possible d’appréhender la prochaine étape dans le changement d’habitude.

 « Mon enquête s’articulait autour du déploiement pratique de six enquêtes dans ces espaces numériques. Savoir comment les internautes s’approprient les savoirs pratiques dans leur vie quotidienne nécessite de s’intéresser aux espaces en ligne mais aussi aux discussions des savoirs pratiques dans l’espace numérique et aux activités hors ligne» explique Solène Sarnowski.

Il existe deux types de groupes : des groupes généraux et des groupes  locaux. Les premier sont les plus importants et se donnent pour mission, selon leurs propres termes, de « former une communauté qui progresse ensemble vers un objectif de changement de vie ». Ils mettent l’accent sur le retour d’expérience, l’activité du quotidien et le développement du dialogue entre personnes engagées dans une même démarche. Les groupes locaux ressemblent aux groupes généraux avec en plus un ancrage local fort. La plupart des membres de ces groupes font partie à la fois des groupes généraux et des groupes locaux. Solène s’est intéressée à la structure, aux contenus des échanges et aux processus de régulation des groupes généraux. Les entretiens renseignent sur la perception de ces espaces par les enquêtés

Les groupes « zéro déchet » sont des groupes de soutien et des supports d’enquêtes empruntant des caractéristiques aux communautés de pratiques Ils permettent de mener des enquêtes pratiques. Les groupes « zéro déchet » fonctionnent de la même manière que les groupes effondristes reposant sur la théorie de l’effondrement du capitalisme en 2030.  Le sociologue Cyprien Tasset  qui a étudié ces groupes,  a montré que les gens vont chercher des avis collectif pour dépasser le sentiment d’impuissance et d’isolement. Les groupes généraux ressemblent à des « self-help groups », décrits par T. Borkman. A l’intérieur de ces derniers se retrouvent des personnes confrontées au même problème et s’unissant pour le résoudre.

"L’objectif des groupes zéro déchet est de faciliter l’accès à l’information pour démocratiser la démarche. Celle-ci promeut  la bienveillance sans laquelle rien ne serait possible. Il s’agit d’une des règles affichées sur ces groupes qui prend un sens politique car encourage chacun à progresser dans la démarche" détaille Solène. Ces groupes prennent la forme de communautés d’entraide qui s’articule autour de jeux de questions réponses. Echangent sur ces groupes des personnes devenues expertes par leur fréquentation assidue de cette communauté et des novices qui présentent clairement comme tels.  Ces communautés de pratiques permettent d’être support d’enquêtes pour ces internautes.

Les internautes apprennent en participant à des discussions nourries. Les groupes les plus actifs  publient jusqu’à 300 discussions par jour. L’individu prend en main son apprentissage en déployant deux types de stratégies : soit en recherchant des informations précises en tapant des mots clés dans le moteur de recherche, soit en s’intéressant à la démarche en regardant le fil de l’actualité d’où émergera des idées.

Les enquêtés ont beaucoup souligné qu’ils « étaient à la recherche de ce qui convenait » et de « ce qu’ils pouvaient faire». Le principe de bienveillance prend ici un sens particulièrement fort car il s’agit de respecter les multiples choix de chacun. Il n’y a pas qu’un seul chemin menant au zéro déchet mais de multiples façons d’y parvenir. Ce respect des manières de faire est essentiel au bon fonctionnement du groupe. D’un côté, les questionneurs détaillent les informations recherchées et de l’autre les participants donnent les clés de compréhension de leurs expériences.

Les commentaires se déploient en éventail sous les posts avec beaucoup de solutions différentes.  Les questionnements trouvent rarement une réponse universelle. Plusieurs centaines de commentaires assez différents peuvent s’enchainer sous un post avant sa clôture. Les contributions peuvent se juxtaposer sans hiérarchisation des solutions proposées.  Il est impossible de connaître la solution choisie par celui qui a posé la question.

Des expériences mais surtout des expérimentations et des solutions éprouvées par les internautes sont partagées dans ces groupes. « Le groupe prend le rôle d’un laboratoire dans lequel il est possible d’expérimenter, de manipuler avant même d’être engagé dans l’activité. Les internautes peuvent savoir si les solutions préconisées leur conviennent en fonction des retours des personnes qui ont vraiment expérimenté ces solutions » insiste  Solène. Tout l’intérêt du groupe est de pouvoir expérimenter afin d’éviter une perte de temps, d’énergie et de ressources. Les internautes qui lisent les posts sont déjà dans un pré expérimentation.

« A contrario des recherches de Madeleine Akrich sur les communautés de problèmes, capables d’agir face ou avec des experts, se crée ici un collectif d’expériences personnalisées de profanes. L’expérimentation personnelle des membres du groupe permet à chacun de constituer de sa propre expertise et de savoir ce qu’il est prêt à faire » compare-t-elle.

"L’information rencontrée sur le groupe est considérée avec un œil critique mais les vérifications ne sont pas de type scientifique. Très peu d’articles de recherche sont cités sur le groupe. Les personnes qui partagent leur expérience ne doivent être ni des profanes, ni des professionnels, ni des extrémistes. La confiance accordée sur le groupe est souvent teintée de méfiance alors que la confiance accordée aux proches est inconditionnelle" remarque-t-elle.

Certains décrivent de très longues enquêtes débordant largement du groupe en cherchant d’autres informations sur internet. Cette expérimentation en ligne se poursuit aussi hors ligne. Les données sont récupérées et les informations sont croisées mais surtout les internautes testent les solutions préconisées. L’enquêté combinent souvent des solutions proposées sur le groupe et ailleurs.

« L’enquête menée dans l’espace numérique n’est donc pas un simple arbitrage mais se construit d’évaluations et de dévaluations successives » conclut-elle.

Ce séminaire  est organisé autour des sciences sociales (et du numérique), alternant des présentations de chercheuses et chercheurs en sciences sociales de Télécom Paris et des autres institutions du plateau (d’un côté comme de l’autre de la Nationale 118).

Prochains séminaires :

  • 25 janvier, 14h : Stéphanie Lacour & Fabien Tarissan, ENS Saclay, « Justice algorithmique »
  • 15 février, 10h :  Benjamin Loveluck, i3, Télécom Paris,  « Faire justice en ligne: formes et enjeux du vigilantisme numérique »
  • 29 mars, 10h : Françoise Détienne, i3, CNRS, Télécom Paris : « Les valeurs en conception »
  • 26 avril, 10h : Mathieu Brugidou, EDF-R&D, « Dans quelles mesures peut-on parler d’opinion publique sur le web ? Quelques éléments pour un programme de travail »
  • 31 mai, 14h : Antonio Casilli, Maxime Cornet et Clément Leludec, I3 – Télécom Paris : « Etat des lieux des plateformes en Europe »
  • 28 juin, 10h : Ivaylo Petev & Sander Wagner, CREST –  Ensae : « Discriminer en ligne: l’ordre de préférence des usagers parisiens d’Airbnb selon le genre et l’origine du prénom de l’hôte ou du locataire »

Pour en savoir plus sur le séminaire, cliquez ici