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Institut Interdisciplinaire de l'Innovation

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There is not any technological fix for energy transition, a paper by Franck Aggeri
Posted on 11 April 2019

Avec l'aimable autorisation d'Alternatives Economiques©

Voitures électriques, bâtiments à énergie positive, énergies renouvelables (éoliennes et panneaux photovoltaïques)… Dans l’imaginaire collectif, la transition énergétique se résume le plus souvent à l’adoption d’un bouquet de technologies. Ce langage technophile est non seulement celui des articles de presse, mais encore celui des politiques publiques. Or cette représentation du futur est problématique car elle sous-estime les nouveaux problèmes environnementaux engendrés par ces nouvelles technologies, mais également parce qu’elle laisse de côté les dimensions non technologiques de la transition énergétique.

Le long chemin de la transition énergétique

La transition énergétique renvoie aux transformations structurelles des modes de production et de consommation de l’énergie. Le terme a été inventé en Allemagne par l’Öko-Institut en 1980 dans un livre blanc où cet organisme s’interrogeait sur les moyens pour l’Allemagne de sortir de la dépendance au pétrole et à l’atome.

i le terme de transition est utilisé, c’est précisément pour souligner la difficulté de sortir d’une trajectoire technologique établie. Se passer du pétrole, par exemple, prend forcément du temps car cela suppose de changer les objets, les infrastructures, mais aussi les modes de vie, les compétences et des routines établies. Pour susciter et accompagner une telle transition, on a besoin de politiques publiques car le marché, aveugle aux impacts environnementaux, ne les prend pas en compte spontanément.

Depuis dix ans, les politiques publiques pour la transition énergétique ont eu pour nom en France « Grenelle de l’environnement » (2008), « loi de transition énergétique pour la croissance verte » (2015) et « feuille de route sur l’énergie et le climat » (2018). Dans le cadre de la loi de transition énergétique, le gouvernement doit présenter en juin prochain un projet législatif sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui détaille la stratégie de la France d’ici à 2030. Outre des objectifs chiffrés, comme la baisse de 20 % de la consommation énergétique par rapport à 2012, le texte devrait viser une neutralité carbone en 2050. Du côté de l’offre, des objectifs technologiques sont affirmés : soutien à l’éolien, au solaire et au véhicule électrique. Et du côté de la demande, des secteurs prioritaires sont ciblés dans lesquels ces technologies doivent être diffusées : bâtiment, transport, industrie, agriculture et forêts.

Le mirage des technologies « propres »

Ce programme, comme les textes publics précédents, se fondent sur une hypothèse implicite : les technologies « propres » devraient permettre de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles.

Prenons deux exemples qui montrent les limites du raisonnement. Premier exemple : la voiture électrique qui est présentée par certains comme un véhicule 0 émissions. Que mesure-t-on au juste quand on évoque ce chiffre ? Il s’agit des émissions mesurées en phase d’usage du véhicule. Or, si l’on prend maintenant l’ensemble du cycle de vie du véhicule, depuis la conception jusqu’à la fin de vie en passant par l’impact des matériaux utilisés et de la fabrication, le bilan est tout autre. Des études récentes mettent en évidence le fait que, si les émissions à l’usage sont nulles, d’autres émissions sont produites pour fabriquer la voiture elle-même et pour produire de l’électricité. Par ailleurs, la nature des polluants change puisque la fabrication des batteries consomme des métaux stratégiques (cobalt, lithium,…) qui sont très polluants à extraire et dont les ressources peuvent également être limitées.

Ces études ne condamnent pas la technologie du véhicule électrique, car ces impacts peuvent être réduits à la fois en travaillant sur le bilan énergétique de l’électricité et sur l’éco-conception des véhicules. Mais elles soulignent que des « technologies propres », sans empreinte environnementale, n’existent pas. Le même raisonnement pourrait être appliqué aux éoliennes, dont la fabrication consomme des métaux stratégiques dont l’impact environnemental est élevé. Le changement technologique déplaçant les enjeux environnementaux, il est donc urgent de mener des analyses environnementales précises. Des outils d’évaluation, comme l’analyse de cycle de vie, existent : il convient d’en généraliser l’usage en accompagnement des politiques publiques.

Le numérique représente déjà 10% de la consommation mondiale d’électricité et devrait atteindre près de 30% en 2025

 

Autre exemple : les impacts environnementaux de la transition numérique. On s’est longtemps plu à croire que la révolution numérique allait permettre de « dématérialiser » l’économie, et ainsi, de réduire ses impacts. Des études récentes soulignent, au contraire, leur ampleur. Le numérique représente déjà 10% de la consommation mondiale d’électricité. Avec la 5G, très énergivore, et le développement exponentiel des applications logiciels consommatrices d’énergie, il est prévu que cette consommation atteigne près de 30% en 2025, soit environ 7,5% de la demande finale d’énergie. Cette consommation se répartit aujourd’hui en trois ensembles de poids à peu près identiques : les terminaux (téléphones, tablettes, ordinateurs) ; les data centers et les réseaux.

Or la transition numérique ne fait pas partie des objectifs prioritaires de la PPE. Comment expliquer cet oubli ? Mon hypothèse est que les politiques publiques sont construites sur des instruments d’observations inadéquats. A l’instar du lampadaire dans une rue noire, les décideurs vont prendre leurs décisions en fonction des zones qu’éclairent les instruments dont ils disposent. L’instrument d’observation pour mesurer les consommations d’énergie et les émissions de carbone est la comptabilité analytique. Les secteurs clés prioritaires dans la PPE correspondent ainsi à des secteurs de la comptabilité nationale. Or le numérique est par essence trans-sectoriel. Ses impacts sont donc invisibles avec cet instrument. Les visibiliser suppose donc de repenser les instruments d’observation sur lesquels se fondent les politiques publiques. Dans le cas de la transition numérique, il s’agit également d’engager une stratégie sur la sobriété numérique qui inclue non seulement l’impact des objets et des infrastructures, mais également l’éco-conception des logiciels.

Agir sur tous les fronts

Réduire la transition énergétique à un problème technologique présente un avantage politique indéniable : elle fait croire au public que la transition se fera sans heurts, à usages constants. Focaliser l’attention sur l’objet (par exemple la voiture électrique) permet de faire oublier qu’il faudra inévitablement accompagner sa diffusion d’une réflexion sur les usages de la voiture et sur la réduction des distances parcourues pour en réduire les impacts.

Or, tous les avis d’experts convergent sur le fait que la transition énergétique nécessitera un changement en profondeur des modes de vie et de consommation (mobilité, urbanisme, alimentation, économie circulaire). Il faut travailler sur l’éducation des citoyens et l’information des consommateurs, sur les modèles économiques qui permettent aux entreprises de développer d’autres sources de revenus que la vente de produits, mais aussi mettre en place de nouvelles politiques d’aménagement et d’urbanisme. C’est à cette seule condition que la transition énergétique pourra faire l’objet d’une réflexion systémique, qui intègre ces différents volets dans une démarche cohérente.