« Brutification » et instauration des données. La fabrique attentionnée de l’open data

Alors que les politiques d’open data se multiplient dans le monde, on ne sait que peu de choses des conditions concrètes de l’ouverture des données publiques. En s’appuyant sur une enquête de deux ans menée dans plusieurs institutions françaises, cet article met en lumière les opérations qui sont accomplies en amont de la diffusion des données. Il montre que dans un premier temps, les services passent par une véritable enquête collective pour identifier des jeux de données. Une partie de ces données est ensuite extraite des systèmes d’information qui les hébergent, avec plus ou moins de difficultés. Enfin, les données sont elles-mêmes directement transformées : elles sont nettoyées et subissent des modifications qui leur assurent une double intelligibilité, humaine et technique. Au regard de ces interventions on comprend qu’une grande partie des données ne préexiste pas aux projets d’open data et que leur ouverture est un processus d’instauration qui les fait progressivement advenir. Tandis qu’on pourrait être tenté d’opposer cette fabrique laborieuse des données aux exigences des promoteurs de l’open data, qui insistent sur la nécessité de diffuser des données « brutes », l’article montre qu’elle peut être au contraire appréhendée comme un travail de brutification, un façonnage attentionné de données brutes. Cette description du processus d’ouverture des données publiques invite finalement à reconsidérer ce que l’on entend par « donnée » en général. L’enquête montre en effet que ce qui compte comme données fait l’objet d’explorations et de négociations, ce qui plaide pour l’adoption d’une définition qui en reconnaît le caractère relationnel et transactionnel des données.