Le séminaire « Expertises économiques et actions environnementales » accueillera
Sébastien Chailleux et Andreas Folkers
Géoingénierie
Cette séance explorera les promesses de la géoingénierie, à travers l’étude de projets éco-modernistes proposant des innovations visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Sébastien Chailleux (Centre Émile Durkheim-UMR5116, Sciences Po Bordeaux) – Stockage géologique de carbone : instabilité des coalitions et des discours autour d’une technologie d’émission négative de carbone
La modernisation écologique tend à dominer les définitions institutionnelles des transitions à faible émission de carbone dans les pays industrialisés, mais de nombreux travaux donnent une vision homogène des projets écomodernistes basés sur les solutions de marché et l’innovation technologique. Cette communication remet en question cette vision de l’homogénéité de la modernisation écologique en analysant à un niveau micro le développement d’une coalition écomoderniste soutenant le développement de la capture, l’utilisation et le stockage du carbone (CCUS) en France. En se concentrant sur la construction et l’érosion d’un cadre commun au sein de la coalition, nous soulignons l’ambivalence du cadrage de la solution et l’instabilité de la coalition qui la soutient. En s’appuyant sur l’analyse interprétative des politiques et la sociologie de l’innovation, nous soulignons que les innovations écomodernes sont co-construites entre les acteurs publics et privés. Nous soutenons que les cadres ambivalents développés par les promoteurs français du CCUS ont d’abord légitimé le déploiement de la technologie mais ont conduit à un désalignement des acteurs sur le long terme.
Andreas Folkers (Justus-Liebig-Universität Giessen) – (Géo)ingénierie symbiotique
Les vaches ne sont pas seulement l’une des premières formes de capital, elles sont aussi des terraformeuses. Elles ont contribué à la colonisation des Amériques en occupant les terres autrefois habitées par des troupeaux de bisons et sont aujourd’hui encore responsables de la transformation de riches écosystèmes forestiers en terres agricoles. Selon la FAO, « l’élevage représente 70 % de toutes les terres agricoles et 30 % de la surface terrestre de la planète ». En plus de modifier la terre, et parce que leurs rots rejettent du méthane, les vaches altèrent aussi la composition chimique de l’atmosphère. Au cours des deux dernières années, une série de projets technoscientifiques et biocapitalistes ont vu le jour, visant à réduire les émissions de méthane des bovins en modifiant le métabolisme microbien symbiotique dans leur système digestif. La promesse de ces projets est qu’intervenir au niveau microbien aura un effet immédiat sur la planète et qu’il s’agit donc là d’une forme de géo-ingénierie microbienne ou symbiotique. Cependant, cet imaginaire fait abstraction des médiateurs qui rendent de tels effets possibles. Ma présentation mettra en lumière les différentes étapes technoscientifiques, calculatoires et économiques nécessaires pour relier le microbien au planétaire et transformer l’ingénierie microbienne en géo-ingénierie.
Sébastien Chailleux (Centre Émile Durkheim-UMR5116, Sciences Po Bordeaux) est maitre de conférences à Sciences Po Bordeaux. Il travaille sur les dynamiques de politisation de la transition énergétique. Depuis 10 ans, il a étudié comment les industries du sous-sol s’adaptaient face aux injonctions à la transition. Il s’est notamment intéressé à l’interdiction du gaz de schiste en France, l’échec de la relance minière et au développement du stockage géologique de carbone. Il a notamment publié L’État sous pression en 2021 avec Philippe Zittoun, et Ressources Minérales et Transitions en 2022 avec Sylvain Le Berre et Yann Gunzburger, ainsi que de nombreux articles sur ces thématiques dans la Revue Internationale de Politique Comparée, la Revue Française de Sociologie, Natures Sciences Sociétés, Critical Policy Studies, Environment & Planning C ou encore Extractive Industries and Society.
Andreas Folkers (Justus-Liebig-Universität Giessen) est sociologue, ses intérêts de recherche recoupent à la fois la sociologie politique, économique et environnementale, la théorie sociale et les Science & Technology Studies. Il est post-doctorant à l’Institut de sociologie de l’Université Justus-Liebig de Gießen, où il mène un projet de recherche sur les risques climatiques dans le domaine de la finance. Il est actuellement (septembre 2022 – juin 2023) boursier au Princeton Institute for Advanced Study, School of Social Science. Ses travaux portent sur la bio- & techno-politique des sociétés contemporaines dans une perspective qui conjugue approches de la théorie sociale (critique) et sensibilités analytiques des STS. Il a travaillé sur des sujets tels que la préparation aux catastrophes et la protection des infrastructures sensibles, la transition énergétique et les symbiosocialités. Il est actuellement investigateur principal d’un projet de recherche financé par le DFG (Fondation allemande pour la recherche) sur le délaissement d’actifs et les risques climatiques dans le domaine de la finance. Le projet examine les « pipelines » entre capital fossile et capital financier et analyse les tentatives de gouvernance des risques financiers associés à la décarbonation. Il prépare par ailleurs un (second) livre provisoirement intitulé « Fossil Modernity. A Natural History of the Present » sur l’essor, la chute et les suites de l’intrication catastrophique entre les sociétés modernes et combustibles fossiles.