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Pour faire face à une pénurie de masques, de gel hydroalcoolique, de tests et autres instruments de lutte contre l’épidémie de Covid-19, les biohackers s’organisent. Petite revue de ce mouvement non conventionnel qui fait preuve d’innovation pour aider dans la crise actuelle.
Gels hydroalcooliques, masques de protection, tests de détection, respirateurs artificiels : la fabrication de ces quatre objets est usuellement l’apanage d’institutions et d’entreprises établies. On rencontre ces objets dans des pharmacies, des hôpitaux, dans un monde standardisé et organisé. Le Covid-19 a bouleversé cet ordre des choses et, pour l’instant, la science, la médecine et le marché ont bien du mal à contenir le virus.
Face à la pénurie de gels, de tests et de masques de protection, on observe d’innombrables contournements, détournements et innovations. Commençons notre tour d’horizon par l’histoire d’un certain Monsieur Tang, qui, face à la pénurie de masques à Hong Kong, a décidé d’en produire lui-même à grande échelle. L’initiative interpelle par sa visée économique : Monsieur Tang vise à faire du « low-cost » en vendant ses masques à très bas coût, à un moment où les prix flambent et les histoires de vols et de ventes illégales de masques se multiplient.
Les tutoriels pour construire des masques soi-même se sont multipliés depuis février et sont relayés dans de nombreux médias et sur les réseaux sociaux. Certains tutoriels sont même mis en ligne par des associations professionnelles, comme l’Association italienne de télémédecine, des hôpitaux (à Hong Kong, à Saint-Brieuc, etc.), ou encore des pompiers. Les techniques et matières pour fabriquer ces masques façon do-it-yourself varient énormément, de l’utilisation de papier essuie-tout et de mouchoirs à celle de plastique – voire son impression en 3D –, en passant par l’utilisation de vêtements. En même temps que les masques do-it-yourself se répandent, les débats quant à leur fiabilité et efficacité se multiplient.
Les communautés de hackers se sont aussi emparées du coronavirus en tant qu’objet scientifique. Si les hackers bricolent et bidouillent traditionnellement du matériel et des logiciels informatiques, il existe depuis une dizaine d’années des « biohackers » (appelés aussi biologistes do-it-yourself) qui, eux, bricolent le vivant. On retrouve parmi eux toute une panoplie de profils : des chercheurs en sciences naturelles, des hackers et des geeks, des ingénieurs, des étudiants, des artistes, des entrepreneurs. Si leur nombre est difficile à estimer (probablement autour de 4 000 dans le monde, et une centaine en France), ils se retrouvent souvent dans des laboratoires communautaires, dont il existe une cinquantaine à travers le monde.
Les biohackers de BioCurious, un laboratoire créé en 2010 près de San Francisco, suivent l’épidémie de Covid-19 de près et ont organisé le Wuhan Virus Co-Learning Hackathon le 1er février. Au menu : comprendre comment les virus en général fonctionnent et se répandent, analyser le génome du coronavirus, examiner comment ce dernier se propage. La philosophie de ce « hackathon », comme des activités des biohackers en général, est celle d’une démocratisation de la science : le but est de rendre accessibles les savoirs scientifiques et techniques pour les citoyens.
À la Simon Fraser University, près de Vancouver, c’est un hackathon du nom de EpiCoronaHack qui s’est déroulé du 18 au 19 février. Les participants se sont penchés sur l’analyse de données, ainsi que la modélisation et la simulation des données publiques disponibles sur le virus. Mais l’idée n’était pas seulement de comprendre et de reproduire ce que le monde médical sait déjà. L’idée était surtout de produire soi-même des analyses, « faire vos propres estimations, modèles et prévisions et voire ce que vous trouvez ».
Du 27 au 28 février, le Hack for Wuhan, un hackathon en ligne, a réuni des hackers de partout dans le monde. L’idée de cette initiative est née au sein de Wuhan2020, une communauté fondée en janvier 2020 qui rassemble plusieurs milliers de bénévoles. Le but de Hack for Wuhan est de créer une panoplie de nouveaux designs, outils, prototypes, modèles (comme des plateformes pour collecter des données, ou encore des applications mobiles pour l’autodiagnostic des symptômes du coronavirus). Le tout – hacking oblige – de façon open source : c’est-à-dire de façon ouverte, transparente, collaborative et décentralisée.
Depuis mars, les hackathons se multiplient à travers le monde, dont Hack la Crise (20-22 mars, France), Versus Virus (3-5 avril, Suisse), ou encore #BuildforCOVID19 (26-30 mars), lancé par l’Organisation Mondiale de la Santé en partenariat avec des entreprises comme Facebook et Microsoft. Si les hackathons sont des dispositifs originaux qui peuvent donner naissance à des idées et collaborations très diverses et créatives, ils souffrent cependant d’un problème chronique : de nombreuses applications et projets ne survivent pas au-delà de la durée des hackathons, faute de ressources ou de motivation, ou des deux.
Mais les biohackers sont de nature optimiste. Dans le passé, ils se sont déjà attaqué plus d’une fois à des problèmes environnementaux et de santé. Ils ont développé des sondes d’échographie open source, des dispositifs portables pour détecter la malaria (le projet Amplino), un protocole ouvert de production d’insuline (le projet Open Insulin), des biosenseurs pour détecter la présence de substances toxiques, des collaborations avec une entreprise pharmaceutique sur les données sur le cancer (le projet Epidemium, porté par le laboratoire parisien La Paillasse, ou encore des auto-injecteurs d’épinéphrine.
Ces projets en témoignent : les biohackers veulent attaquer de front, mais de façon non conventionnelle, les problèmes contemporains touchant au vivant. Ils ne développeront certainement pas un vaccin contre le coronavirus dans le futur proche – ceci nécessiterait des ressources techniques et financières dont ils ne disposent pas. Mais ils visent à démocratiser le coronavirus à leur façon, en imaginant et en partageant des outils, des logiciels, des données, des modèles.
Les discussions actuelles au sein de la communauté des biohackers tournent autour de la production de désinfectants, de respirateurs artificiels et de tests pour diagnostiquer le virus. On peut citer ici l’initiative OpenCovid19, qui vise à développer et à partager des méthodologies de diagnostic open source. Une idée serait de produire des kits de détection do-it-yourself capables de tester la présence du coronavirus. À court et moyen terme, il est difficilement imaginable que ces tests puissent être utilisés pour tester directement des patients, mais ils pourraient être mobilisés pour tester la présence du virus dans différents types d’environnement. S’il reste à savoir si toutes ces idées résisteront à la réalité et à la complexité biologiques, un diagnostic sociologique peut déjà être fait : la pénurie a fait foisonner l’innovation.
Morgan Meyer
Sociologue, Morgan Meyer est directeur de recherche CNRS à l’institut interdisciplinaire de l’innovation, Mines ParisTech (PSL) et chercheur associé au Laboratoire interdisciplinaire sciences innovations société (LISIS) à l’université Paris-Est Marne-La-Vallée.
L'original de cet article a été publié sur le site du magazine de La Recherche
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