i3, une unité mixte de recherche CNRS (UMR 9217)
en

Institut Interdisciplinaire de l'Innovation

Chargement Évènements
  • Cet évènement est passé
Innovation technologique et changement climatique : efficacité des technologies
Posté le 2 mars 2021

Simon Touboul est  doctorant en économie au CERNA, Mines ParisTech Université PSL. Sa thèse porte sur l'innovation technologique et l'adaptation au changement climatique.  Pour réagir au changement climatique, deux solutions peuvent se combiner : l’atténuation ou l’adaptation au changement climatique. « Dans le cas de l’atténuation, l’objectif est de réduire l’impact des activités humaines sur le changement climatique, principalement les émissions de gaz à effet de serre. Les principaux secteurs sont l’énergie, les transports, le bâtiment et l’agriculture. Dans le cas de l’adaptation au changement climatique, il s’agit de limiter l’impact de ce phénomène sur les activités humaines. Les secteurs concernés sont plus divers, comme les infrastructures, l’agriculture, les transports, mais aussi le tourisme ou encore la santé. Je cherche notamment à savoir, en consultant les données des brevets,si les innovations technologiques atteignent ceux qui en ont le plus besoin» résume Simon Touboul.

 « À l'échelle mondiale, le nombre d'inventions brevetées dans le domaine des technologies d'adaptation au changement climatique n'a cessé d'augmenter au cours des deux dernières décennies.  Toutefois, si l'on considère le nombre total d'inventions dans toutes les technologies et dans tous les domaines, la part des inventions liées à l'adaptation au climat en 2015 était à peu près la même qu'en 1995. Cette stagnation de la recherche et du développement en matière d'adaptation contraste fortement avec la tendance pour les technologies d'atténuation du changement climatique, dont la part dans l'innovation totale (incluant  les technologies non liées au climat) a plus que doublé au cours de la même période » constate-t-il.

 « En outre, l'innovation en matière d'adaptation est concentrée dans un nombre limité de pays. La Chine, l’Allemagne, le Japon, la République de Corée, les Etats-Unis et le Mexique représentent ensemble près des deux tiers de toutes les inventions de grande valeur (inventions déposées dans au moins deux pays) entre 2010 et 2015. Les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne représentent, à eux trois la moitié de toutes les inventions d’adaptation » reprend-t-il.

Evolution annuel de la part des inventions relatives au climat dans toutes les inventions

« L’une de mes questions de recherche est d’évaluer l’efficacité des technologies (d’adaptation) comme moyen de protection contre les évènements climatiques extrêmes, l’une des conséquences les plus préoccupantes du changement climatique. Je cherche à savoir si les technologies créées pour faire face aux évènements climatiques extrêmes  sont efficaces pour protéger les populations et les biens. Si l’on prend l’exemple des tempêtes tropicales, la  réponse est oui » affirme le doctorant. Face à ces résultats probants, les pays continuent à innover pour se protéger dans le futur de tempêtes encore plus violentes. Mais comment évaluer l’efficacité de ces technologies ? De multiples éléments peuvent être pris en compte afin d’en évaluer l’efficacité. « Dans nos études, nous considérons les technologies comme efficaces si elles permettent de réduire les dégâts (humains ou matériels) causés par les tempêtes ». L’idée théorique est la suivante : « Prenons le cas de deux îles identiques en tout point (superficie, répartition de la population, culture, richesse, …),  frappées par la même tempête au même moment. La première dispose de certaines options technologiques et l’autre non. Les technologies sont efficaces si l’île les utilisant subit moins de dommages matériels ou une mortalité plus faible que l’autre» détaille-t-il. En pratique, les outils économétriques nous permettent de revenir à cette situation théorique et de réaliser cette évaluation à l’échelle des pays.

Mais de quelles technologies parlons-nous ? Dans le cas des tempêtes tropicales, les technologies consistent, par exemple, en des outils de prévisions météorologiques avancées, ou alarmes permettant l’évacuation des personnes menacées par l’évènement. Une modélisation raffinée des systèmes météos permet de déterminer, quelques jours avant l’évènement, la zone d’impact du cyclone, la vitesse du vent et donc les lieux les plus menacés. Les alarmes peuvent être des alarmes sur les téléphones ou encore des signaux d’évacuation sonores. Ces tempêtes provoquent des mini tsunamis inondant tous les habitats et centres de productions sur leur passage. Un des multiples moyens de parer aux conséquences de ces tsunamis est de construire des digues ou de créer des goulots d’étranglement guidant la vague vers des zones vierges, comme les mangroves. Beaucoup de technologies sont disponibles pour protéger les infrastructures, comme les habitations sur pilotis ou les habitations flottantes (illustration ci-dessous). Il existe aussi des barrières au vent, qui permettent de réduire la vitesse du vent ou de le rediriger ailleurs pour protéger les cultures ou les forêts.

Illustration du principe de maison flottante issue d’un brevet

Outre des tempêtes plus violentes et potentiellement plus dangereuses, le changement climatique augmente l’intensité et la fréquence de nombreux autres évènements extrêmes, comme les canicules et les sécheresses. Les cultures sont particulièrement impactées par ces phénomènes. Comment peut-on mesurer l’efficacité des technologies de sécheresse ? « De la même façon que pour les tempêtes tropicales, il faut établir des critères. Si on prend l’exemple de graines résistantes à la sécheresse, doivent elles simplement rester en vie lors d’un épisode de sécheresse, ou continuer à produire autant que des plantes qui ne sont pas soumises à ce stress hydrique ?La première étape est de définir l’objectif, le critère d’efficacité. En économie, on va tenter de comparer une situation où l’on dispose de cette technologie et une situation où l’on n’en dispose pas puis analyser dans quelle mesure cette technologie est efficace » explique Simon Touboul.

Le temps nécessaire à la mise en place d’une innovation pouvant faire l’objet d’un brevet est différent selon les technologies. Il est par exemple de huit ans pour les technologies d’inondation et de trois ans pour les sécheresses. Une inondation fait de gros dégâts sur une petite zone à proximité de fleuves ou de rivières alors que les sécheresses s’étendent sur le long terme, impactant l’agriculture de manière importante. Le fait que les sécheresses se déroulent sur une plus longue période et qu’elles impactent de plus vastes territoires font qu’elles sont plus faciles à prévoir et pourrait expliquer une réaction, et donc une innovation plus rapide.

« Innover prend toujours du temps. Il suffit d’examiner le temps d’innovation nécessaire à l’élaboration des vaccins de la Covid-19 alors qu’il s’agit d’une priorité mondiale et que des moyens financiers colossaux et des dispositifs inédits ont été mis en place » explique Simon faisant un parallèle avec l’actualité.

Si innover prend toujours du temps et que le temps est toujours nécessaire à la mise en place d’un brevet, l’entreprise innove toujours pour un marché et des clients, quel que soit le secteur. Dans le cas de l’innovation technologique, face aux changements climatiques, les entreprises innovent pour des acteurs privés (constructeurs, agriculteurs, pharmaceutique, armateurs...) et publics (Etats, collectivités, communes…). Ces innovateurs privés sont guidés essentiellement par des opportunités de marchés. « Prenons l’exemple d’une entreprise française produisant de grandes quantités de graines pour le Brésil. L’entreprise constate que le Brésil est impacté par la sécheresse et que le changement climatique va aggraver le phénomène. Elle observe que l’Etat brésilien communique auprès des agriculteurs brésiliens sur l’importance de l’utilisation de graines résistantes à la sécheresse et va éventuellement jusqu’à légiférer sur la question. Elle va innover pour répondre à ce nouveau marché en se donnant les moyens d’être la première à réussir. On peut faire encore le parallèle avec le vaccin contre le Covid-19 » conclut-il.