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Internet, l’autoroute de la désinformation ? 22.06.2022, par Philippe Testard-Vaillant et Charline Zeitoun
Posté le 29 juin 2022

« Soyez-y, ce sera sauvage ! », avait exhorté Donald Trump sur Twitter avant l'invasion du Capitole le 6 janvier 2021, reconstituée mi-juin par une commission d'enquête. L'ancien président criait à la fraude électorale... Fake news et manipulations de l'opinion ont-elles vraiment fait d'Internet une autoroute de la désinformation ? Plusieurs études offrent un tableau plus nuancé.

Cet article a été initialement publié dans le n° 12 de la revue Carnets de science, disponible en librairies.

Fake news ou infox : nom moderne d’un très vieux phénomène social. Dater l’émergence de ces affirmations truquées serait en effet hasardeux tant le travestissement délibéré des faits par un individu, un groupe ou un gouvernement semble avoir toujours existé. Objectif : ternir la réputation d’une personnalité, discréditer un opposant politique, fragiliser un fait scientifique, prétendre dévoiler un plan secret de domination du monde… bref, trafiquer les faits pour manipuler l’opinion.
  
Pour autant, selon certains, jamais l’humanité n’aurait vogué au milieu d’un tel océan d’info comme d’infox... « Les fake news sont notamment devenues les grandes animatrices des campagnes électorales récentes, de la campagne pro-Brexit au Royaume-Uni jusqu’à l’élection du président brésilien Jair Bolsonaro, en passant par diverses élections en Europe et aux États-Unis », pointe Émeric Henry, professeur au département d’économie de Sciences Po1. De même, de nombreuses infox, comme celles véhiculées par le documentaire Hold-up, sorti en novembre 2020 et visionné des millions de fois sur Internet, circulent autour de la pandémie de Covid-19.

De fait, les plateformes numériques, en particulier les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter, jouent aujourd’hui un rôle majeur dans la viralité de contenus, qu’ils soient conformes à la vérité ou intentionnellement mensongers. Fantastique caisse de résonance, Internet est une aubaine pour les manipulateurs d’opinion. Tout vient d’abord de ce que « le modèle des plateformes repose sur le partage à tout va puisque leurs revenus publicitaires dépendent du degré d’activité », rappelle Émeric Henry. Les algorithmes des réseaux sociaux, loin d’être neutres, ne sont pas conçus pour trier le vrai du faux mais pour choisir, classer, hiérarchiser, cibler les informations susceptibles de capter l’attention d’un maximum d’utilisateurs.

Une « prime » à l’émotion et à la controverse

« Plus un utilisateur passe de temps sur une plateforme, plus celle-ci a des occasions d’afficher des encarts publicitaires et plus ses recettes augmentent, renchérit Antonio Casilli, professeur de sociologie à Télécom Paris et membre de l’Institut interdisciplinaire de l’innovation2.

Or, les algorithmes qui déterminent le fil d’information de chaque utilisateur sont optimisés pour mettre en avant des messages percutants et provoquant des réactions émotionnelles fortes. Une sorte de “prime” à lémotion et à la controverse, laquelle incite l’utilisateur à prolonger sa connexion. C’est pourquoi les fake news les plus outrancières bénéficient dune large diffusion. » Si les plateformes s’enrichissent, ce n’est pas le cas de tout le monde : « Selon une étude conduite en 20193, le coût des fake news en termes de pertes boursières, de risques pour la santé publique, d’atteinte à l’image des marques et de dépenses de campagnes électorales est estimé à 78 milliards de dollars... », indique le chercheur.

Pour opérer, divers stratagèmes sont utilisés par des officines gouvernementales, des partis politiques, des groupes activistes, des requins des affaires et autres malins génies numériques. À commencer par le recours à de faux profils contrôlés depuis des « usines à trolls » (internautes malfaisants) comme l’Internet Research Agency établie à Saint-Pétersbourg, proche du Kremlin et particulièrement active durant la présidentielle américaine de 2016.

« De telles entreprises, spécialisées dans la communication agressive, recourent à des bataillons d’opérateurs pour déverser des propos fallacieux sur les réseaux sociaux, commente Antonio Casilli. Ces petites mains invisibles, payées à la pièce, à peine quelques centimes par message, sont majoritairement installées dans les pays émergents ou à faibles revenus. Les fausses informations ainsi produites peuvent ensuite être relayées par des comptes semi-automatisés (bots) capables d’interagir avec des personnes réelles. Ces programmes qui tweetent à haute fréquence, jour et nuit, notamment vers des comptes influents, amplifient la diffusion de fake news. » Autant de dispositifs mis à profit pour organiser des campagnes de propagande comme celles d’astroturfing (le nom est un clin d’œil à la marque américaine AstroTurf qui vend du gazon synthétique, donc imitant le vrai…). Cette pratique consiste à simuler un mouvement spontané de l’opinion avec un nombre restreint d’acteurs.

Régulation des réseaux et démocratie

« En inondant les réseaux sociaux de faux comptes, un donneur d’ordres et quelques sous-traitants font croire à un vaste mouvement citoyen venu de la base, explique Antonio Casilli. C’est ainsi que les architectes de la stratégie Internet d’Éric Zemmour, en s’appuyant sur un nombre limité de comptes Twitter (« Les profs avec Zemmour », « les entrepreneurs avec Zemmour », « les militaires avec Zemmour »…), ont réussi à afficher si souvent le polémiste parmi les sujets tendances de Twitter, créant l’illusion d’un ralliement de la société civile à ses idées ».

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