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Séminaire CSI Invité reçoit Frédéric Keck
Posté le 17 novembre 2020

Pour situer cet ouvrage dans le paysage des sciences sociales, rappelons plutôt la trajectoire académique de l'auteur Frédéric Keck. Après un doctorat de philosophie consacré à l’anthropologue Lucien Lévi-Bruhl, il devient chargé de recherche au CNRS en 2005 et intègre le Laboratoire d’Anthropologie Sociale à l'EHESS. Il y concentre une part importante de ses recherches à l’étude des zoonoses, ces pathogènes d’origine animale qui franchissent les barrières d’espèce, et à ce que ces zoonoses font aux humains, à leurs sociétés, à leurs techniques et à leurs sciences. Il également dirige le département de la recherche et de l'enseignement du musée du Quai Branly entre 2014 et 2018. Ce parcours pluriel imprègne ce livre mais c’est surtout une riche enquête ethnographique qui lui donne corps, avec de nombreuses expériences de terrains menées entre 2007 et 2013 en Asie du Sud-Est, de Taïwan à Singapour en passant par Hong-Kong. Ces 3 territoires aux portes de la Chine, ont été particulièrement touchés par les zoonoses des vingt dernières années et notamment par la crise du SRAS en 2003. Les territoires de Hong-Kong, Singapour et Taïwan ont ainsi été amenés à investir dans des techniques de préparation à une future pandémie, et à prendre le statut de sentinelles entre le monde occidentale et la Chine. Face au risque d’une grippe aviaire, la préparation aux pandémies a notamment pris place justement « au niveau aviaire ».

Mais en quoi consiste une préparation au niveau aviaire ? Comment les techniques de préparation affectent-elles les relations des humains aux oiseaux ? Quel éclairage l’étude de la préparation aux pandémies apporte-t-elle sur le contexte géopolitique dans cette région de l’Asie ? Ces questions sont parmi les points de départ de cette réflexion. Pour y répondre, l'auteur suit notamment deux catégories d’acteurs, les observateurs d’oiseaux et les microbiologistes spécialistes des virus, dont les pratiques ont été radicalement transformées avec l’émergence du paradigme des maladies infectieuses à la fin des années 1960 et avec cette idée que l’on peut anticiper les sauts de pathogènes entre espèces en suivant les réservoirs animaux de virus, plus particulièrement les réservoirs aviaires. En faisant le choix épistémologique de prendre au sérieux les alertes que peuvent signaler ces « chasseurs de virus » et ces observateurs d’oiseaux, il montre que la préparation à la grippe aviaire est une occasion pour eux de prendre la perspective des virus et des oiseaux sur leur environnement, de se rendre attentifs aux signes du passé et de l’avenir laissés par ces non-humains, et de cultiver ainsi un art du pistage qu'il rapproche de celui des chasseurs-cueilleurs, ce qui  l'amène à qualifier leurs techniques de « cynégétiques ». A ces techniques cynégétiques, il oppose des techniques « pastorales », celles des autorités de santé publiques qui procèdent à des actes sacrificiels, comme des abattages massifs de volailles justifiés par une rationalité administrative de prévention. La prévention et la préparation constituent ici deux rationalités du risque, des modes d’anticipation des futures qui fondent selon lui différentes politiques publiques face aux zoonoses : l’abattage animal, par prévention et la préparation, par surveillance des mutations des virus. A ces deux modes, il ajoute la précaution, associée à la pratique de la vaccination.

L'auteur montre que ces trois manières d’appréhender les risques et de les gérer (prévention, précaution et préparation) traduisent différentes conceptions du social et des relations aux non humains. Cette perspective anthropologique sur les techniques de gestion des pandémies est l’un des arguments centraux du livre. Il l'étaye par une description des pratiques des ornithologues et des virologues, des éleveurs et des autorités de santé publiques, mais également par un important travail bibliographique et historique où viennent s’entrelacer les destins de différentes disciplines académiques et de différents territoires, dont ces fameuses sentinelles d’Asie du Sud-Est où se concentre son enquête.

Le livre est construit en deux parties, dont le discutant va maintenant parcourir le contenu avant de poser une première question pour ouvrir la discussion. Alors que la seconde partie de son livre propose une ethnographie détaillée de trois techniques de préparation - la sentinelle, la simulation et le stockage - , la première, plus théorique, revient sur l’émergence d’une logique de préparation dans l’histoire des maladies animales. Cette première partie propose de montrer comment la préparation se distingue des deux autres rationalités du risque évoquées précédemment. Pour expliciter la distinction entre ces trois rationalités, il procède d’abord à une généalogie parallèle de l’anthropologie sociale et de la médecine vétérinaire. A différentes périodes historiques, il confronte les réactions et les analyses de quatre acteurs centraux de l’anthropologie sociale face aux maladies de leur temps, alors que les connaissances sur ces maladies et les techniques pour y répondre évoluent parallèlement. Cette exploration en quatre temps lui permet de montrer comment différents modes de causalité du social viennent rationaliser des pratiques de gestion des risques liés aux maladies animales. Il commence dans la seconde partie du XIXè siècle, avec l’anthropologue évolutionniste Herbert Spencer. Témoin des politiques d’abattage mises en place pour freiner la peste bovine, Spencer va apporter un cadre justificatif à cette mise à mort massive d’animaux. Dans la pensée évolutionniste, qui ne distingue pas le social du naturel, seule une vision experte et statistique des gouvernants est légitime pour réguler les maladies animales, par opposition aux savoirs des éleveurs que Spencer place à un niveau inférieur. C’est à cette conception qu'il associe la rationalité préventive aujourd’hui largement partagée par les gestionnaires des maladies animales d'après lui. Les savoirs écologiques sur les microbes développés aux prises avec les animaux et dévalorisés par Spencer, seront réhabilités par l’anthropologue des religions William Robertson Smith avec une conception du social comme émergeant des relations entre humains, animaux et microbes. Plus tard, alors que Louis Pasteur développe les premières techniques de vaccination, le concept de mémoire collective proposé par Emile Durkheim apporte un cadre de pensée justifiant le recours aux vaccins, dans une logique préventive cette fois. C’est seulement l’approche structurale de Claude Lévi-Strauss, et sa théorisation du concept de signe, qui permettront de développer une compréhension du social et des relations aux animaux valorisant les logiques de préparation. Pour Lévi-Strauss, les maladies animales révèlent les chaînes de signalisation et de relations au travers desquelles les humains anticipent le futur. Prenant exemple sur des sociétés non modernes qui auraient été attentives à ces chaînes de signalisation, Lévi-Strauss invite les sociétés modernes à anticiper les catastrophes à venir, notamment celles que la consommation industrielle de viande laisse entrevoir à ses yeux.

Ayant distingué trois rationalités du risque en les associant à des conceptions du social et à des modes de relations aux non humains, l'auteur illustre ensuite comment ces trois rationalités viennent se confronter dans une arène scientifique contemporaine, lors d’une controverse autour des travaux du virologue Ron Fouchier en 2013. Ce virologue propose notamment de manipuler le matériel génétique des virus existants pour anticiper en laboratoire leurs mutations pathogènes, ce qui n’est pas sans générer des inquiétudes en matière de biosécurité. L’arbitrage entre les gains possibles de cette stratégie de recherche pour la santé publique et les enjeux éthiques et politiques de biosécurité, suscite des débats qui donnent à voir différentes positions vis-à-vis des risques biologiques. Cette controverse sur la biosécurité illustre combien la démarche de préparation proposée par les virologues, cherchant à « chasser » les virus avant qu’ils ne franchissent les barrières d’espèces, échappe au cadre préventif des épidémiologistes qui se concentrent à produire des données statistiques des victimes humaines une fois que la pandémie a lieu pour en limiter les dégâts. Plus encore, cette controverse met en évidence la compétition entre virologues sur ce qu’est un « bon » chasseur. En proposant un parallèle avec une anthropologie du chamanisme, l'auteur estime qu’être un bon chasseur de virus implique non seulement de voir le monde dans la perspective des virus, mais aussi de prêter attention aux signes qu’ils envoient par les animaux qui les portent, les oiseaux dans notre cas. C’est dans cette perspective que s’opère un rapprochement entre les pratiques de collectes des virologues et celles des ornithologues.

Afin de montrer plus précisément comment les logiques de préparation ont émergé, il mène enfin une généalogie comparée de trois formes de connaissance occidentales étendues à la Chine : l’ornithologie, la virologie et l’anthropologie. Son regard se porte plus spécifiquement sur les infrastructures de collecte, de stockage et d’exposition des oiseaux, des virus et des objets humains. Il interroge comment ces espaces – les musées, les laboratoires et les réserves – ont été redéfinis par le passage de la prévention à la préparation. Cette analyse comparée montre des similarités dans les trois généalogies : au fil des deux derniers siècles, les collections privées ont été progressivement dévaluées pour constituer des musées globaux. Les collectionneurs se sont évertués à les compléter autant que possible jusqu’à ce que des catastrophes en vue transforment la gestion des collections. Pour les collections d’oiseaux, ce sont les difficultés matérielles posées par la conservation des spécimens et les premiers constats d’extinction d’espèces qui ont réorganisé les collectes. Plutôt que de chercher les espèces pouvant combler un manque dans une collection globale, l’attention des ornithologues s’est progressivement concentrée sur les espèces indicatrices d’une tendance à l’extinction, déplaçant les collections des espaces fermés des musées vers les réserves naturelles. Pour les collections de virus, le passage de la prévention à la préparation s’est traduit à différents niveaux. D’abord en passant d’un stockage des virus à un stockage des vaccins mais surtout avec le développement de sentinelles territoriales traduisant un glissement stratégique qui consiste, lui aussi, à cibler la collecte de données sur certains virus plutôt que de viser une connaissance globale. La création d’un comité d’experts en écologie des maladies infectieuses à l’OMS en 1976 joue un rôle important dans l’émergence de cette nouvelle forme de santé globale car les virologues de ce comité ont rapidement identifié la Chine comme un épicentre des virus de grippe compte tenu de la proximité entre humains et animaux causée par la forte consommation d’animaux sauvages, par les pratiques d’élevage industriel et par la destruction des habitats. Alors que les experts mondiaux manquaient de données sur la Chine qui n’est pas membre de l’OMS, ces circonstances ont justifié la mise en place d’un mode de surveillance particulier conférant le statut de sentinelle à des territoires asiatiques frontaliers de la Chine, Hong-Kong en particulier, pour permettre la détection précoce de maladies globales. L'auteur écrit ainsi que les trois territoires de son enquête de terrain –Hong-Kong, Singapour et Taïwan - ont « trouvé avec la grippe aviaire, un langage pour parler des problèmes qu’ils rencontrent avec le continent chinois ». De son point de vue, l’étude des relations humains-oiseaux est ainsi une clé d’entrée pour prendre une perspective chinoise sur la grippe aviaire. Bien que les contextes géopolitiques propres à chacun de ces territoires jouent un rôle fondamental dans son analyse, c’est une anthropologie plus générale des techniques de préparation qu'il propose dans la seconde partie du livre, par la description de trois techniques : les sentinelles, les simulations et les stockages. Chacune des techniques est décrite dans sa diversité, suivant les formes qu’elle peut prendre d’un territoire à l’autre et suivant les relations aux animaux qu’elle suscite. Son analyse structurale lui permet d’apporter pour chacune d’elle une forte perspective anthropologique. Pour revenir d'abord aux sentinelles, son analyse ne se limite pas à l’échelle des territoires sentinelles. Elle concerne également le niveau des fermes industrielles où des poulets non vaccinés alertent sur la circulation des pathogènes, le niveau global d’un environnement où des observateurs d’oiseaux alertent sur la disparition potentielle ou réelle d’une espèce et l’échelle microscopique de l’organisme, où des cellules sentinelles assurent le fonctionnement d’un système immunitaire. Il propose une ontologie commune à ces comportements sentinelles, entendus comme constitutifs d’un réseau de surveillance capable d’activer de manière adéquate une cascade de signaux d’alerte. Mais il souligne que les signaux d’alerte sont toujours pris entre deux cas limites : la sous-évaluation et la sur-réaction au risque. Dès lors, comment percevoir de manière adéquate les signaux d’alerte et surmonter le risque d’un leurre, d'une fausse alerte ? L'auteur aborde cette question en s'appuyant notamment sur la position originale développée par les ornithologues Amotz et Avishag Zahavi au sujet des relations proies-prédateurs. Dans leur théorie des signaux coûteux, les sentinelles établissent une communication entre proie et prédateur de sorte que les deux parties puissent évaluer les bénéfices de cette interaction incertaine. Leur conception des sentinelles amène à considérer que les signaux transmettent toujours de l’information et qu’il n’y a donc pas de faux signaux. Les signaux n’ont de valeur qu’en fonction des comportements futurs de ceux qui les produisent. Et les deux autres techniques qu'il décrit, la simulation et le stockage, participent à produire la valeur de ces signaux d’alerte. Les techniques de simulation, d’abord, produisent cette valeur en imaginant et en répétant la situation catastrophique signalée pour mieux s’y préparer. Parmi les simulations décrites, il distingue les exercices réels qui prennent place en extérieur, simulant une pandémie à l’échelle d’une ville ou de plusieurs territoires connectés, et les exercices virtuels menés dans des bâtiments. Les exercices virtuels inclus également les simulations des bio-informaticiens qui reconstruisent les virus du passé suivant une démarche de scénarisation inverse et imaginent par un même mouvement les évolutions possibles de ces pathogènes.

En retraçant le type de signalisation qui se produit dans l’espace de la simulation, aux travers des artefacts, des acteurs, des non humains mis en scène, l'auteur montre comment les simulations instituent un contexte pour l’action dont le réalisme est un enjeu central. Il rapproche ces simulations de celles pratiquées par les chasseurs pour agir sur une réalité en constante mutation. Les simulations fournissent une occasion d’intégrer les incertitudes et les contradictions du réel sous la forme d’un jeu réflexif au cours duquel le statut des entités engagées peut changer. Il soutient alors qu’elles sont assimilables à un rituel, dans la mesure où elles font entrer collectivement la fiction dans la réalité. Cette technique illustre ainsi le rôle puissant de l’imagination collective dans la préparation aux incertitudes du futur. Pour ce qui concerne enfin les techniques de stockage, il en distingue surtout deux formes : Le stockage de ressources prioritaires, comme les vaccins et les antiviraux qui circulent dans une économie de la rareté, inégalitaire et productrice de tensions géopolitiques en cas de pandémies. Et le stockage de données ordinaires, celles qui concernent les virus, et qui participent d’une économie globalisée de la connaissance. Alors que le stockage ordinaire repose sur des relations de transparence et de confiance, le stockage prioritaire est réglé par des enjeux de souveraineté, de propriété et d’échange. Ces deux formes de stockage ne suscitent donc pas la même production de valeur dans l’économie des signes face aux catastrophes. Il évoque enfin une troisième forme de stockage, celui des êtres vivants à des fins de consommation, qui vient amplifier les risques de mutations dans les réservoirs animaux lorsqu’il est pratiqué de manière industrielle. Son approche ethnographique des techniques de préparation, attentives aux rationalités des différents acteurs qu'il croise, et l’actualisation qu'il  propose de la méthode structurale apporte un changement de focale sur les zoonoses dont ses ouvrages passés portaient déjà la trace. En effet, dans son livre « Un monde grippé » publié en 2010, il proposait de considérer la grippe aviaire comme un mythe, un mythe dans un sens positif et non sceptique, entendu comme une description des relations des humains à leur environnement dans toute leur intensité. Dans « les sentinelles des pandémies », l’étude des techniques de préparation l'amène à porter plus loin sa théorie anthropologique des zoonoses, en suggérant que les sentinelles déploient les relations à l’environnement que décrit le mythe de la grippe aviaire, que les simulations sont des techniques rituelles permettant de rendre réelle la menace exprimée par les sentinelles et que les pratiques de stockage organisent l’économie visant à répondre à cette menace.

Tout au long de cet ouvrage, sa réflexion insiste sur le rapport singulier de signalisation que certains acteurs développent avec les oiseaux, un rapport cynégétique qui décentre les humains et montre leur dépendance vis-à-vis des espèces avec lesquelles ils cohabitent. Son ouvrage constitue finalement un plaidoyer pour ces techniques cynégétiques de préparation aux catastrophes face aux dérives des techniques pastorales privilégiées par les administrations de santé publiques.

Questions de doctorants à Frédéric Keck :

Comment  vous positionnez-vous en tant qu’anthropologue dans cette signalétique d’alerte aux catastrophes que vous décrivez ?

Ce débat théorique sur la préparation a effectivement eu lieu dans les sciences studies et l’anthropologie à partir du travail lancé autour de 2008 par Paul Rabinow et Stephen Collier qui avaient repéré justement autour de la notion de biosécurité la convergence d’un certain nombre de nouvelles normes qui s’étaient mise en place notamment aux Etats-Unis aux lendemains des attaques du 11 septembre 2001 qui diffusait dans le monde entier autour de la préparation à une pandémie de grippe. Les stratégies qui avaient été adoptée par Paul Rabinow  Stephen Collier et Andrew Lakoff était de distinguer cette préparation de rationalité du risque avec lesquelles elle semblait pouvoir se confondre mais avec lesquelles, elles marquaient une rupture très forte du fait qu’elle mobilisait un imaginaire de la catastrophe au lieu de reposer sur des calculs de risques. Le débat européen sur le principe de précaution apparaissant dans cette perspective comme un moment intermédiaire entre la suite de la prévention mise en place au XIXe siècle en Europe et cette nouvelle rationalité de la préparation qui selon les travaux historiques de Stephen Collier et Andrew Lakoff seraient apparu aux Etats Unis aux lendemains de la seconde guerre mondiale dans la préparation à une attaque de guerre qui diffuserait à l’ensemble des catastrophes naturelles à la fin de la guerre froide. La position de Collier et Lakoff était justement de résister à une approche trop critique de la préparation et montre tout ce à quoi elle échappe au cadre de la prévention. Tous les mécanismes d’assurance, de mutualisation et de solidarité échouent à rendre compte de ce qui se passe dans la préparation parce que la préparation justement ne se soumet pas à l’épreuve des inégalités sociales. Elle considère les individus comme des acteurs capables d’imaginer des catastrophes et de monter des réseaux entre eux à travers ces simulations et d’établir de nouveaux rapports aux objets à travers des techniques de stockage. Il y avait dans ces travaux l’idée de défendre la cohérence d’une rationalité nouvelle par rapport à des critiques qui la rabattaient sur une rationalité ancienne. Sur cette position de débat que je partage en partie moi j’ai ajouté une autre démarche anthropologique qui est de prendre la préparation à travers un détour ethnographique qui est celui de l’Asie c’est-à-dire de comprendre comment la préparation a été saisie comme une ressource intellectuelle dans les territoires comme Hong Kong, Taiwan et Singapour pour redéfinir leur position globale et notamment par rapport à l’écologie politique de la Chine dans les années 2000. De ce point de vue ma position en tant qu’ethnographe est effectivement d’essayer de comprendre ce qui se joue de nouveau et de singulier dans les techniques de préparation mise en place par ces territoires et d’en généraliser les enseignements.

Dans tous les débats que nous avons en Europe ou aux Etats Unis sur étions-nous prêts à la prochaine pandémie ? J’essaye de prendre le point de vue des acteurs que j’ai interrogé, ces biologistes mais aussi de ces ornithologues qui se préparent à une pandémie en suivant les oiseaux. Ce double détour à la fois par une généalogie américaine de la préparation et par une ethnographie asiatique me permet de donner une image de la préparation un peu différente de celle que l’on discute dans les techniques administratives qui est une technique que j’appelle cynégétique. Montrer qu’il y a dans la préparation des ressources pour penser les relations et les humains et leur environnement et notamment cette réversibilité des points de vue fait que nous prenons le point de vue des oiseaux sur les pathogènes qui vont nous affecter ou nous prenons le point de vue des chauves-souris sur le Corona virus. Il y a cette radicalisation du détour qui conduit à prendre le point de vue des oiseaux. Il y a aussi dans le livre un plaidoyer pour l’écologie mais de réflexivité qui fait que l’on regarde comment des savoirs biologiques sont appropriés dans le sud de la Chine pour penser les questions écologiques. Cette question a une histoire assez longue non seulement celle de la virologie des cinquante dernières années mais aussi celle de l’ornithologie et par extension celle des musées dans lesquelles l’anthropologie est partie prenante. Je réponds à la question de l’engagement en disant qu’il  y a effectivement une défense d’un point de vue particulier pour dire que s’est passé aux frontières de la Chine pour que nous en soyons arrivés à cette situation de la pandémie de Covid 19 mais il y a aussi un plaidoyer pour la réflexivité. C’est-à-dire qu’est-ce qu’en tant qu’anthropologue on peut dire sur ces territoires où les savoirs occidentaux ont toujours été appropriés pour gérer des troubles liés à l’environnement et construire de nouvelles relations avec les non humains dans ce contexte. Double direction : intensification du point de vue et réflexivité pour la discipline.

Pourquoi avoir centré votre recherche sur la littérature occidentale ?

J’ai choisis Hong Kong Taiwan et Singapour parce que j’avais accès aux sources en anglais et sur le terrain des recours à des traducteurs mais il ne s’agissait pas de voir comment la préparation aux pandémies était pensée dans la tradition chinoise elle-même. Souvent les acteurs que j’interroge recourent à des classiques de la médecine chinoise pour dire que l’on a toujours anticipé les épidémies, on a toujours eu un recours à la nature qui n’était pas anthropocentrique. Je ne suis pas là pour qualifier ce recours à la tradition. Ce qui m’intéresse c’est de voir à la fois comment des traditions culturelles mais aussi des ressources écologiques ont fait que la préparation aux pandémies a été saisie dans ces territoires aux frontières de la Chine comme des ressources pour construire une nouvelle relation aux non humains. J’ai suivi les virologues et pas seulement les ornithologues parce que les deux groupes avaient la possibilité d’étendre à la Chine ce qui se passait aux frontières de la Chine. Dans une logique de réseau, ils visaient à former des scientifiques chinois. Je décris aussi un peu pour les ornithologues comment ils forment des conservateurs de l’environnement sur les zones littorales de la Chine. C’est vraiment par une approche des pratiques et pas des textes que j’essaye de voir comment la préparation aux pandémies arrive par ces territoires très occidentalisés aux frontières de la Chine et s’étend à de nouvelles formes de savoir à la Chine continentale elle-même.