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Institut Interdisciplinaire de l'Innovation

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Innovation Amazon contre Alibaba et les 40 dragons, chronique de François Lévêque parue sur le site d’Alternatives Economiques
Posted on 30 August 2018

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Un géant de la logistique

Quand Jeff Bezos s’est lancé en 1995 dans la vente de livres en ligne, il n’envisageait pas d’en assurer la manutention, le stockage et la livraison. Aujourd’hui, son entreprise dispose d’une capacité logistique d’exception pour livrer les colis – de ses entrepôts à ses clients. Amazon est quasi imbattable dans l’expédition aux consommateurs finaux. Elle prend pied désormais dans le fret international avec ses services de transitaire maritime, ses semi-remorques et ses avions cargo. À mesure que l’ogre de Seattle (voir précédente chronique) grossit de la sorte, les temps et coûts de transport diminuent et sa clientèle s’élargit. Économie d’échelle, innovation de rupture, stratégie d’intégration verticale ouverte et sacrifice financier sont les piliers de son succès de logisticien.(...)

L’entreprise de Seattle propose ses services d’expéditeur aux vendeurs de sa place de marché. Elle ne les réserve pas à ses propres produits. Si, par exemple, votre choix s’est porté sur l’Aicok « fente large pour croque-monsieur et tranches à sept niveaux de dorage », le vendeur est Halokey, une entreprise de Shenzen. De Chine, elle aura approvisionné un des centres d’Amazon en Europe et lui aura versé par appareil environ cinq euros de frais de traitement (y compris le transport) et 0,3 euro par mois de frais de stockage. Il peut même se faire que vous ayez acheté votre grille-pain sur un site concurrent, comme Darty.com, et non sur Amazon.fr mais qu’il soit pourtant expédié par Amazon.

Des services offerts à ses concurrents

Le dragon Amazon ouvre ainsi les portes de son organisation et de ses installations logistiques à ses concurrents. C’est intrigant, non ? Pas tant que cela si on y réfléchit.

Primo, cette ouverture permet de bénéficier d’économies d’échelle. Expédier plus de volume rend possible d’investir dans de plus grandes installations ; et les plus grandes installations présentent un coût unitaire plus faible car leur coût fixe se répartit sur un plus grand nombre de colis. Les dépenses de R&D sont aussi un coût fixe ; donc mieux amorties avec du volume. Or, Amazon investit des sommes considérables dans l’innovation logistique. Songez à la livraison futuriste par drones à la porte de votre pavillon ou visualisez sur YouTube la robotisation à l’œuvre dans les entrepôts d’Amazon.

Secundo, expédier plus de volume procure un effet de levier pour mieux négocier avec ses fournisseurs, obtenir par exemple de meilleurs prix auprès des géants du fret à l’instar d’UPS ou de Fedex.

Tertio, ouvrir ses services à des tiers incite Amazon à mieux faire.

Quatro, l’ouverture des services logistiques à l’extérieur abreuve Amazon de nouvelles données. Si vous achetez votre grille-pain sur un site tiers et qu’Amazon se charge de l’expédition, Amazon vous connaîtra. Or la data, comme on dit aujourd’hui, est le nerf des affaires. Elle permet par exemple de lancer l’expédition d’un colis alors même que l’objet n’a pas encore été commandé. Non seulement la synchronisation des pagayeurs du Bateau-Dragon d’Amazon est parfaite mais ils s’élancent avant le top départ ! Pour en savoir plus sur cette invention, prenez connaissance du brevet n° US8615473B2 « Method and system for anticipatory package shipping ». Il appartient à Amazon Technologies Inc.

Cinquo, les clients abonnés d’Amazon profitent d’une offre encore plus étendue. Les produits expédiés par Amazon et vendus par des tiers peuvent bénéficier du label Prime. Les clients sont alors livrés sous deux jours et ne payent pas de frais de livraison pour le colis qu’ils reçoivent.(...)

Tirer profit des services

Cette façon de faire d’Amazon n’est pas réservée à la logistique. Elle fait sa fortune dans les services informatiques en nuage (stockage, calcul, et analyse de données, outils de développement et de gestion, etc.). Ils lui rapportent aujourd’hui près de 20 milliards de recettes et se classent en part de marché très loin devant ceux de Microsoft, Google et IBM. Enfin et surtout, ils représentent l’essentiel des profits du groupe.

Par contraste, la logistique est, semble-t-il, un foyer de pertes. Une estimation qui date déjà de deux ans l’évalue à 7 milliards de dollars... Amazon perdrait de l’argent au-delà d’un seuil de 2,5 euros par livraison. (...)

Une viabilité questionnée

Un seuil vraiment très bas. Si bas que la viabilité du modèle de croissance d’Amazon est périodiquement questionnée

Un géant du commerce international

Le bateau-dragon d’Amazon s’essaye maintenant à la course au large. Il déploie ses ailes avec sa flotte d’avions cargo et son hub à Cincinnati, loue de l’espace sur les porte-conteneurs, et numérise les activités de transitaire. La majorité des vendeurs de sa place de marché sont des entreprises non américaines, en particulier chinoises à l’exemple du marchand de grille-pain déjà mentionné. En tout, on estime que le quart des ventes d’Amazon par des tiers est réalisé avec des produits qui ont traversé au moins une frontière. Elles connaissent une croissance très rapide et pourraient atteindre 1 200 milliards de dollars en 2021 contre 400 aujourd’hui.(...)

Le modèle concurrent d’Alibaba

Contrairement à la firme américaine, le dragon chinois du commerce électronique est peu intégré. Il assure pareillement la moitié de ce commerce dans son fief national, mais sans actifs en dur comme des entrepôts ou des magasins de briques et mortier. C’est un ensemble de places de marché, à l’instar de Taobao qui met en relation des vendeurs et acheteurs, particuliers ou petites entreprises. Il n’achète pas pour revendre et ne gère ni stockage ni livraison. Il est en revanche au sommet d’une pyramide logistique.

Alibaba a en effet fondé un consortium d’entreprises regroupant une quarantaine de grands expéditeurs et transporteurs chinois.(...)

Le choc Amazon–Alibaba

Amazon et sa logistique globale intégrée et Alibaba et ses quarante dragons de Cainiao cherchent ainsi à faciliter les échanges entre acheteurs et vendeurs de différents pays. Vous connaissez Amazon.com et ses déclinaisons nationales .fr, .de ou .it, mais peut-être pas encore Aliexpress.com, la place de marché internationale d’Alibaba qui met en contact des vendeurs, surtout chinois, avec le reste du monde. Elle est aujourd’hui la première en Russie et connaît un certain succès en Espagne et au Brésil.(...)

De son côté, Amazon n’est pas en reste. L’entreprise de Seattle est en particulier intéressée par le marché chinois où elle est très peu présente. Or les consommateurs de la classe moyenne et supérieure sont attirés par certains produits de l’étranger, des produits de marque bien sûr, mais aussi des produits dont la qualité sanitaire est jugée sans risque, contrairement aux produits locaux à l’instar du lait en poudre. Là encore une logistique internationale innovante, efficace et fiable est un avantage clef.

Les deux bateaux-dragons sont désormais bien lancés dans la course à la logistique globale. Difficile de prévoir les places à l’arrivée car la compétition ne fait que commencer.

Avec l'aimable autorisation d'Alternatives Economiques©, nous reproduisons des extraits de cette chronique.